Le simple et modeste plaisir d'être Dieu ou Comment se bricoler une planète extra-solaire habitable en 5 étapes faciles / Mario Tessier. -- Astronomie-Québec, 6(3), mai-juin 1996, pages 32-35.
De nombreux astronomes admettent aujourd'hui que les processus qui ont donné naissance à la vie sur Terre pourraient ne pas être une occurrence unique dans l'histoire du Cosmos. Si les bonnes conditions sont réunies, ces processus pourraient donc se répéter, ou s'être répétés, sur d'autres planètes, ailleurs que dans notre système solaire.
Mais quelles sont ces conditions ? Les mathématiques et la physique requises pour examiner si un système solaire comporte une planète habitable ne nécessitent pas de calculs très complexes. Des équations relativement simples, à partir de données de base comme la masse, la densité et la distance, suffisent à déterminer la température et l'énergie émise par une étoile, la période de révolution d'une planète, etc.
Il existe sur le marché, pour ceux que les calculs effraient, divers petits programmes informatiques capables de résoudre ce type d'équations. Par ailleurs, il existe également un fort bon logiciel conçu expressément pour examiner l'habitabilité d'un système stellaire : Star System Generator. Son concepteur, Geir Lanesskog, nous informe que son travail comporte une bonne part d'arbitraire puisque, dans l'état actuel des connaissances, il est impossible d'établir les règles précises de la « xénogenèse » !
Mais son logiciel est très utile pour dégager les conditions astronomiques et physiques qui permettent l'éclosion de la vie dans un système solaire étranger. Allons-y donc! Et amusons-nous à créer quelques systèmes stellaires, non seulement pour étudier les possibilités de vie extraterrestre, mais aussi... pour le simple plaisir de jouer à être Dieu !
Première étape: choisissez votre place dans l'Univers
Comme le diront tous les courtiers immobiliers, trois critères sont décisifs dans le choix d'une maison (cosmique) - et à fortiori d'une planète : l'emplacement, l'emplacement et encore l'emplacement. Vous seriez, vos créatures extraterrestres et vous, bien désolés d'habiter dans le voisinage dangereux d'un jet cosmique ou d'un trou noir, ou dans un coin perdu de la Voie lactée, loin des autres civilisations de la Galaxie.
Aussi, ne placez pas le système stellaire où vous comptez aménager dans un amas galactique. Ces amas contiennent des étoiles de population II, pauvres en métaux. Et vous en éprouverez d'autant plus de difficulté à construire vos planètes et à y établir des civilisations technologiques. Le bulbe galactique est également déconseillé: les radiations y sont élevées ainsi que la densité d'étoiles (d'où les possibilités plus nombreuses de perturbations gravitationnelles). Bref, Sagittaire A est agréable à visiter et comporte de nombreuses curiosités (les filaments cosmiques, les nuages thermiques, l'hypothétique Grand Trou noir du centre galactique et son disque d'accrétion, etc.), mais vous aurez tout le temps d'y aller faire un tour une fois que vous aurez solidement établi votre civilisation extraterrestre quelque part ailleurs. Entretemps, je vous suggère plutôt de placer votre étoile dans la banlieue galactique des bras spiraux, où les étoiles de population I, comme le Soleil, sont nombreuses.
Deuxième étape : choisissez votre étoile
A ce stade, certains auront sans doute envie de faire preuve de beaucoup d'originalité. Il est possible de créer un système multiple, par exemple. Vous verrez alors se lever et se coucher plusieurs soleils; ce qui, on peut le supposer, vous rendra fort difficile la vue du ciel étoilé et fort complexe l'étude de la mécanique céleste ! Mais il n'est pas certain qu'un système stellaire multiple ou qu'une étoile double soient gravitationnellement stables à long terme. Vos planètes risqueraient de subir des perturbations orbitales qui, mêmes minimes, suffiraient à bouleverser, sinon détruire, les biosphères qui s'y sont développées.
Le logiciel Star System Generator est capable d'élaborer de tels systèmes d'étoiles binaires, mais personnellement, je les laisserais à un Dieu plus expérimenté que moi et me contenterais (vous aussi, j'imagine) d'un système stellaire à étoile unique.
Le temps est maintenant venu de choisir un type d'étoile susceptible de « chauffer » suffisamment vos planètes, sans non plus les calciner ! Et il est indispensable que cette étoile possède une période d'évolution stable d'au moins cinq milliards d'années (pour donner à votre planète la même chance que la Terre). Aussi bien éliminer tout de suite les étoiles géantes et supergéantes : leur durée de vie est trop courte. Les sous-naines et les étoiles de type M ne produiront pas assez de lumière ou de rayonnement infra-rouge (c'est-à-dire de chaleur) pour soutenir la photosynthèse et alimenter une biosphère. Sans compter que leur rayonnement ultra-violet et les éruptions chromosphériques pourraient se révéler trop dangereuses pour la vie.
Les meilleures candidates restent donc les étoiles de classe F, G et K, notamment entre F5 et K5. Il n'est pas difficile d'en trouver dans les bras spiraux de la Galaxie.
Troisième étape : choisissez votre climat
Il est important, si vous pensez vous y établir, de choisir une planète dans la ceinture d'habitabilité qui entoure votre étoile. Cette ceinture est la région de l'espace située à une distance telle qu'un objet céleste y reçoit assez de rayonnement de l'étoile pour que l'eau y soit (au moins périodiquement) sous forme liquide. Dans notre système solaire, Vénus la torride se trouve à la limite interne de la ceinture, Mars la frigide à la limite externe, et la Terre confortablement installée en plein centre, à une température idéale.
Les astronomes professionnels se servent de programmes complexes pour calculer l'évolution des disques d'accrétion autour des étoiles. Comme vous ne disposez pas de ces outils et que, de toute manière, la répartition des planètes ne semble pas obéir à des règles précises, vous pouvez placer vos planètes à des distances arbitraires de votre étoile. Prenez soin cependant de répartir les planètes de type tellurique près de l'étoile et les planètes de type jovien plus loin; ainsi les planètes internes posséderont une masse volumique (une densité) supérieure grâce aux métaux et aux gaz lourds tandis que les planètes externes seront constituées de glaces cométaires primordiales et de gaz légers.
Pour faciliter la vie de l'apprenti-démiurge, le logiciel permet de visualiser graphiquement la ceinture d'habitabilité en affichant des couleurs différentes pour les planètes, en fonction de leur température ambiante.
Si vous désirez un peu plus de réalisme, utilisez un algorithme comme la relation de Titius-Bode pour produire une répartition harmonique. Il est possible également de jouer sur les éléments orbitaux, comme l'excentricité ou l'obliquité, et de provoquer ainsi d'intéressants changements de saisons.
Quatrième étape : votre planète et vous
Il s'agit maintenant de définir les paramètres fondamentaux de votre planète (masse) et de choisir les matériaux de votre habitat (composition). Si vous voulez vous protéger des radiations ionisantes de votre étoile, il faudra que votre planète possède un coeur métallique qui lui permettra de générer un champ magnétique. Les métaux de la croûte seront également indispensables à vos extraterrestres pour créer une civilisation technologique susceptible d'entrer en contact avec les Terriens. La composition de la surface et l'existence de liquide influencera l'albédo (le degré de réflectivité) de la planète et, par conséquent, sa capacité à retenir la chaleur émise par l'étoile. L'atmosphère dépendra des gaz capturés par la gravité de la planète et de la vitesse d'échappement (fonction de la température ambiante et de la gravité de surface). Avec tous ces équipements en option, votre planète risque de vous coûter cher !
Cinquième étape : fignolez la décoration
Il ne vous reste plus, à terme, qu'à fignoler les détails de la décoration intérieure de votre système stellaire: les autres planètes, les lunes, les ceintures d'astéroïdes, les anneaux. C'est le moment de faire marcher son imagination ! Enjolivez ! Enjolivez ! Les satellites naturels offrent un bon rapport qualité/masse. Ils possèdent un puits gravitationnel susceptible de capturer les astéroïdes et autres objets hétéroclites errants et nuisibles qui risquent de provoquer des extinctions de masse; et les marées dont ils sont responsables améliorent les chances de développement des organismes qui vivent dans les mers primitives. De plus, les lunes se déprécient peu et font très joli dans le ciel.
N'oubliez pas que votre race d'extraterrestres devra vivre dans votre système stellaire jusqu'à ce qu'elle découvre le vol spatial. Alors, ne soyez pas chiche !
Premiers mondes : Stella et Tellus
Le premier système stellaire que mon logiciel a élaboré est basé sur une étoile de type F2 (que j'ai baptisée Stella), plus massive et plus chaude que le Soleil. La masse de Stella équivaut à 1,5 fois la masse solaire. Sa température est d'environ 7150 degrés K, et elle est 5,5 fois plus lumineuse que le Soleil.
Cette étoile évoluera plus vite que la nôtre mais devrait tout de même rester pendant près de cinq milliards d'années sur la séquence principale, le temps pour ses mondes habitables de développer une vie et une civilisation raisonnablement avancée. Le système comporte onze planètes et deux ceintures d'astéroïdes. Les planètes internes sont de type tellurique (chaudes et denses), tandis que les planètes externes sont de type jovien (géantes gazeuses froides et de faible densité).
La cinquième planète est habitable. Je l'ai baptisée Tellus. Avec un rayon de 6545 km, une masse équivalente à la masse terrestre et une gravité de 0,95 g, elle ressemble énormément à la Terre. Toutefois, Tellus se trouve à près de deux fois et demi la distance Terre-Soleil et sa période de révolution autour de Stella dure 3 ans. Bien qu'elle soit plus éloignée de son étoile que sa cousine terrestre, la température ambiante de Tellus est plus chaude (251 à 357 degrés K, soit -22 à +84 degrés C). Sa période de rotation est de 28 jours; une journée y dure donc presque un mois! Il doit y faire pas mal chaud à midi! La planète est recouverte à 40% d'océans (moins que la Terre); il doit donc y avoir plus de surface continentale et, par conséquent, plus de déserts. Il y a peu d'oxygène dans l'atmosphère; probablement parce que la photosynthèse y est peu développée. Ce monde est encore jeune, le système stellaire n'ayant que 2,5 milliards d'années. Il faudra que je revienne voir dans quelques milliards d'années si la vie y aura produit des galas télévisés, des programmes informatiques et des montres à quartz.
Deuxièmes mondes : Aster et Gaïa
Pour mon deuxième système stellaire, j'ai choisi une étoile moins massive et plus froide que le Soleil : une naine de type K (0,7 masse solaire, température de 4350 degrés K et luminosité d'à peine le huitième de celle du Soleil). J'ai appelé cette étoile Aster. Le système comporte six planètes et deux ceintures d'astéroïdes. Il n'y a que deux planètes de type terrestre, les autres sont des géantes gazeuses. Ce sont des mondes froids, en révolution autour d'une étoile dont les pâles reflets orangés réchauffent avec peine la surface.
Gaïa, la seule planète habitable, orbite autour d'Aster à la moitié de la distance Terre-Soleil. Même si elle se trouve près d'Aster, sa température ambiante varie entre -56 et +88 degrés C. Son rayon n'est que de 2656 km, soit deux fois moins que la Terre, et sa masse équivaut à 4% à peine de la masse terrestre. La gravité de 0,215 g y est donc plus faible que sur Mars. La période de révolution de Gaïa dure environ cinq mois et le jour près de quinze heures. La succession des saisons est donc très rapide, et elles doivent être très prononcées si l'on considère l'obliquité de 40 degrés de Gaïa. Seulement 3% de la surface de la planète est immergé. C'est donc un monde rocailleux, sur lequel soufflent des vents violents (la pression y est de deux atmosphères terrestres et il ne faut pas oublier sa période de rotation rapide, avec des forces de Coriolis considérables). Stella et Gaïa sont âgées de 6,5 milliards d'années. La vie a donc eu assez de temps pour y évoluer. Qui sait ? Peut-être les habitants de Gaïa sont-ils partis, à l'instar des Québécois, vers des cieux plus cléments comme ceux de la Floride ou de Tellus !
Troisièmes mondes : Sidera, Zeus et Athéné
Pour ce troisième scénario, j'ai choisi de garder une étoile de type K comme Aster, très commune dans la Voie lactée, et que j'ai baptisée Sidera. Ces étoiles de faible masse produisent souvent (du moins, selon notre logiciel) un cortège de planètes joviennes autour desquelles orbiteront les rares astres habitables. Dans le cas de Sidera, sa sixième planète, que j'ai baptisée Zeus, est une géante gazeuse dont la rayon est comparable à celui de Saturne, mais qui possède deux fois sa masse. La surface de Zeus n'est pas habitable car la gravité y est le double de celle de la Terre et les températures y sont très basses.
Toutefois, Zeus, en plus d'un anneau planétaire du meilleur goût, compte sept satellites naturels. Une de ces lunes, que j'ai baptisée Athéné, est susceptible d'abriter la vie. Athéné, en effet, a un rayon de 3500 km, comparable à celui de Mars, et une gravité d'un quart de g. La température ambiante varie entre -112 et +48 degré K. La pression atmosphérique est quatre fois supérieure à celle de la Terre et cette atmosphère n'est constituée que d'azote. Il faudra donc que la vie naissante y développe un goût pour ce gaz !
Bibliographie
- Comins, Neil F. What if the Moon didn't exist ? Voyages to Earths that might have been. New York, Harper Collins, 1993, 315 pages.
- Gillett, Stephen L. « On building an Earth-like planet », Analog, July 1989.
- Broecker, Wallace S. How to build a habitable planet. Palisades (N.Y.), Eldigio Press, 1985.
Fiche signalétique
Titre : Star System Generator Ordinateur : IBM. Prix : 20 $US Équipement : processeur 286+ Support : Carte EGA/VGA Concepteur : Geir Lanesskog Adresse : P.O. Box 229 Dekalb, Il 60115 États-Unis Partagiciel Année : 1990 Commentaires : Le logiciel semble comporter quelques défauts mineurs, notamment pour la détermination des types stellaires. Par contre, les propriétés physiques correspondent bien aux calculs de vérification que j'ai effectués sur papier avec un bon vieux crayon. Il est dommage que l'auteur n'ait pas expliqué de manière plus précise, dans son fichier de documentation, certains des paramètres dont il se sert pour la création de ses mondes.
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