Nox Oculis


Les racines du ciel / Mario Tessier. -- Astronomie-Québec 8(4), hiver 1998-1999, in Québec science, 37(4), décembre 1998-janvier 1999, page 3.


« (...) Que de mondes nouveaux, que de soleils sans nombre,
Trahis par leur splendeur, étincellent dans l'ombre !
Les signes épuisés s'usent à les compter,
Et l'âme infatigable est lasse d'y monter !
Les siècles, accusant leur alphabet stérile,
De ces astres sans fin n'ont nommé qu'un sur mille ;
(...) Tout ce que les pasteurs contemplaient sur la terre,
Tout ce que les héros voulaient éterniser,
Tout ce que les amants ont pu diviniser,
Transporté dans le ciel par de touchants emblèmes,
N'a pu donner des noms à ces brillants systèmes. »
Alphonse de Lamartine, L'infini dans les cieux (extrait)

« Nomen omen », disent les Latins : le nom est un présage. Affecter un nom, c'est attribuer de la sorte, et tout à la fois, un rang, un sort, et un emblème. Car le nom est l'essence d'une chose et lui confère une existence propre au sein du monde des humains. C'est pourquoi, sans doute, peut-on envier la profession de cartographe, qui joue un rôle de divinité mineure au panthéon des démiurges littéraires. Aujourd'hui, les toponymes dont sont affublés les objets célestes récemment découverts relèvent des astronomes de l'Union astronomique internationale. Mais de la Renaissance jusqu'au début de notre siècle, les nomenclatures célestes étaient l'apanage des cosmographes (du grec cosmos, signifiant univers) et des uranographes (du grec uranos, signifiant le ciel). Que de beaux noms pour un métier dont la fonction consistait justement à baptiser le ciel et à recenser ses habitants!

Pourtant les noms des étoiles nous proviennent de la plus haute antiquité. En effet, bon nombre de désignations célestes, autant des constellations que des étoiles, ont été léguées à la culture gréco-latine par les Babyloniennes et les Sumériennes. Quelques-uns de ces noms remontent donc au moins au Ve millénaire avant notre ère, aux touts débuts des premières civilisations.

Ce sont les Grecs qui ont d'abord codifié, entre les Ve et IIe siècles avant notre ère, les noms des constellations dont nous nous servons encore aujourd'hui. Les Romains, un peu plus tard, ont repris ces appellations et les ont latinisées. Dans le catalogue stellaire de son Almageste, rédigé vers 150 de notre ère, Ptolémée dénombre 1 022 étoiles, dont seulement les plus brillantes portent des noms ; des noms grecs comme Arcturus, ou des noms latinisés, comme Sirius, dont la racine grecque « seirios » signifie « brûlant ». Les autres astres ne sont identifiés que par leur position relative dans la figure de la constellation, par exemple, l'étoile du coude droit d'Hercule. Ce n'est qu'au Moyen-âge que les étoiles de plus faible magnitude recevront des noms de la part des observateurs Arabes, qui se servent de ces phares célestes pour calculer leur latitude et naviguer les mers de sable des déserts de l'Islam.

Comme on le voit, la nomenclature astronomique dérive d'une variété de cultures passées et de langages, provenant surtout de la région méditerranéenne et et du Moyen-Orient. Les traditions sumériennes, grecques, latines et arabes ont laissées les traces de leur folklore dans le ciel d'aujourd'hui. Le firmament et ses étoiles constitue un véritable palimpseste de l'histoire culturelle de l'humanité.

« (...) ce Sirius au nom redouté qui brûle l'empyrée. »
Avénius, Les phénomènes d'Aratos

Une étoile porte plusieurs noms. Par exemple, pour les anciens Égyptiens, l'étoile la plus brillante du ciel portait pour nom Sothis; pour les Grecs elle était la Brillante, ou Hélios ; pour les Romains, elle était Canicula ; pour les Arabes elle était Al Kalb al Akbar. Ce sont les astronomes de la Renaissance qui lui redonnèrent son nom latin sous laquelle nous la connaissons : Sirius. Noms poétiques, évocateurs, souvent mystérieux, puisque leurs origines se perdent dans la nuit des temps, leur signification s'étant effritée au contact de dialectes disparus, de glissements phonétiques, de retranscriptions fautives, et d'altérations multiples.

Les astronomes des temps modernes ont utilisés des méthodes jugées plus rationnelles pour nommer les étoiles. Johann Bayer, dans son Uranometria de 1603, leur donna des déclinaisons basées sur leur importance relative dans les constellations, ou, plus précisément, sur leur éclat apparent. Ainsi Sirius devint-elle Alpha Canis Majoris, c'est-à-dire la première étoile de la constellation du Grand Chien. On utilisa d'abord l'alphabet grec pour déterminer l'ordre des étoiles ; on commencait par alpha pour désigner la plus brillante, bêta pour la seconde, et ainsi de suite. Comme plusieurs constellations contiennent plus de 24 étoiles, correspondant au nombre de lettres dans l'alphabet grec, on se servit également de l'alphabet latin.

Cependant, au fur et à mesure que les nouveaux instruments astronomiques exploraient les profondeurs du ciel, on dut adopter d'autres méthodes pour nommer toutes ces nouvelles étoiles. En 1712, le catalogue stellaire de John Flamsteed contenait 2 866 étoiles. Il utilisait alors des désignations littérales et un numérotage pour les étoiles les plus faibles, par ordre croissant d'ascension droite. Sirius devint ainsi 9 Canis Majoris, c'est-à-dire, la neuvième étoile de la constellation du Grand Chien, comptée à partir de la bordure ouest de la constellation vers l'est.

D'autres catalogues stellaires suivirent et Sirius fut alors successivement pour les astronomes: HD 48915 (Henry Draper Star Catalog), HR 2491 (Harvard Revised Bright Star Catalog), SAO 151881 (Smithsonian Astrophysical Observatory Star Catalog) et ADS 5423 (Aitken Double Stars Catalog ; puisque Sirius est une étoile binaire dont la composante invisible, Sirius B, appelée aussi le Chiot, complète une orbite autour de la primaire en 50 ans). La liste n'est pas exhaustive puisqu'il existe des centaines de catalogues astronomiques, chacun comportant sa propre dénomination. Les amateurs peuvent d'ailleurs obtenir gratuitement les fichiers électroniques de la plupart d'entre eux sur les serveurs FTP de la NASA (ftp://adc.gsfc.nasa.gov/pub/adc/archives/catalogs/), ou sur le site Web du Astronomical Data Center (http://adc.gsfc.nasa.gov/).

La nécessité pour les chercheurs scientifiques d'identifier leurs découvertes n'est toutefois pas la seule motivation dans la création de nouvelles nomenclatures. En effet, la fascination qu'exerce les étoiles sur le coeur des hommes a poussé des entreprises commerciales à vendre des noms d'étoiles au grand public. Moyennant finances, ces compagnies vous font parvenir un certificat et une carte stellaire montrant votre étoile, et enregistrent dans leurs répertoires le nouveau nom que vous désirez donner à cet astre. Malgré le ton officiel qu'adoptent ces firmes, les appellations vendues ne sont reconnues par aucune institution scientifique et n'ont pas de valeur légale. Si les planétariums et les clubs d'astronomie ont recours occasionnellement à cette méthode pour ramasser des fonds, ces organismes prennent soin d'expliquer qu'ils agissent ainsi uniquement à des fins récréatives. Vous trouverez d'ailleurs la position du International Planetarium Society sur le sujet à l'adresse suivante : http://www.astro.wisc.edu/~dolan/constellations/StarNaming.html.

Pourtant, nul besoin de certificat ou de papiers officiels pour nous rappeler que le ciel à nous. Les étoiles appartiennent à tous, et à chacun d'entre nous en particulier. Dans la Chine ancienne, lors de la nouvelle année, chacun sacrifiait à son étoile. Il ne tient donc qu'à nous-mêmes d'habiter ce firmament, par notre intelligence et notre coeur. Et de contempler la nuit face à face, de plonger notre regard dans ce que le poète Leconte de Lisle nommait « les yeux d'or de la nuit ».

« Oh ! sois quelque autre nom ! Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. »
Shakespeare, Roméo et Juliette (acte 2, scène 2).

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