Guillaume de Salluste,
seigneur du Bartas (1544-1590)
Poète français, auteur d'une
œuvre participant de l'esthétique baroque, qui est
considérée comme l'exemple le plus abouti de la
poésie scientifique du XVIe
siècle.
Né en Gascogne, Du Bartas était issu
d'une famille de noblesse récente, très
attachée à la terre. Pour la poésie,
il délaissa la carrière de juge à
laquelle le destinaient ses études de droit. Ses premiers
essais poétiques furent couronnés aux Jeux
floraux de Toulouse en 1565. La reine de Navarre, Jeanne d'Albret,
commanda à ce fidèle de la cour un
poème épique, Judith, qui ne parut
qu'après la mort de la souveraine dans le recueil
intitulé La Muse chrétienne
(1567). Il composa plus tard pour la future reine Margot, venue
rejoindre Henri de Navarre, un poème polyglotte chantant les
louanges de la princesse, L'Accueil de la reine de Navarre
(1578). Converti au protestantisme, à l'instar de son roi,
il resta toujours un modéré, bien qu'il ait pris
part avec bravoure aux guerres de Religion. Il n'entra
réellement dans la vie publique qu'au retour de
captivité du roi Henri en 1576, et fut dès lors
employé à ses côtés
à des missions diplomatiques. Devenu gentilhomme du roi de
Navarre en 1585, il ne se retira des affaires de la cour
qu'après l'accession d'Henri IV au trône de
France, en 1589, non sans l'avoir
célébré une dernière fois
dans Le Cantique d'Ivry (1590).
Du Bartas était à cette
époque, et depuis une dizaine d'années, un
poète au sommet de sa gloire, dont la renommée
éclipsait celle de Ronsard, tant en France qu'à
l'étranger, où il était abondamment
traduit. C'est la Semaine ou la Création du monde,
parue en 1578, qui lui avait apporté la renommée.
Ce chef-d'œuvre de la poésie scientifique est un
ouvrage didactique et descriptif directement inspiré de la
Bible. En sept chants, il évoque la création du
monde et fait le tour des connaissances contemporaines sur l'univers
(cosmologie, médecine, zoologie). Son propos
était de montrer la grandeur de Dieu à travers
les merveilles de la création. Usant abondamment de la
métaphore, d'harmonies imitatives, de la
répétition de syllabes évocatrices et
de néologismes pour évoquer au mieux un objet, il
fut un maître du baroque littéraire. D'autres
compositions suivirent : Sommet des neuf muses
Pyrénées, en 1582, puis la Seconde
Semaine ou Enfance du monde, parue en 1584, qui resta
inachevée. Jusqu'en 1630 environ, Du Bartas fut un des
poètes les plus admirés. Puis les connaissances
évoluèrent, et l'inspiration biblique et le style
baroque furent rejetés au milieu du XVIIe siècle,
en marche vers le classicisme. Il fallut attendre le début
du XXe siècle pour qu'il soit
à nouveau apprécié à sa
juste valeur.
Tiré de : « Bartas, Guillaume de
Salluste, seigneur du », Encyclopédie
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Éloge
à la lune (extraits)
Ô le second
honneur des celestes chandelles,
Asseuré calendrier des fastes eternelles,
Princesse de la mer, flambeau guide-passant,
Conduy-somme, aime-paix, que diray-je, ô croissant,
De ton front inconstant, qui fait que je balance
Tantost ça tantost là d'une vaine inconstance,
Si par l'oeil toutesfois l'humain entendement
De corps tant esloignez peut faire jugement,
J'estime que ton corps est rond comme une bale,
Dont la superficie en tous lieux presque égale
Comme un miroir poli, or dessus or dessous,
Rejette la clarté du soleil, ton espoux.
Car comme la grandeur du mari rend illustre
La femme de bas lieu, tout de mesme le lustre
Du chaleureux Titan esclaircit de ses rais
Ton front, qui de soy-mesme est sombrement espais.
Or cela ne se fait tousjours de mesme sorte,
Ains d'autant que ton char plus vistement t'emporte
Que celuy du soleil, diversement tu luis
Selon que plus ou moins ses approches tu fuis.
C'est pourquoi chaque mois, quand une nopce heureuse
R'allume dans vos corps une ardeur amoureuse,
Et que, pour t'embrasser, des estoilles le roy,
Plein d'un bouillant désir, raye à plomb dessus
toy,
Ton demi rond, qui void des mortels la demeure,
Suyvant son naturel, du tout sombre demeure.
Mais tu n'as pas si tost gaigné son cler costé,
Qu'en ton flanc jà blanchit un filet de clarté,
Un arceau mi-bandé, qui s'enfle où moins ta coche
Du char rameine-jour de ton espoux approche,
Et qui parfait son rond soudain que ce flambeau
D'un opposite aspect le regarde à niveau,
De ce point peu à peu ton plein se diminue,
Peu à peu tu te fais vers l'occident cornue,
Jusqu'à ce que, tombant es bras de ton soleil,
Vaincue du plaisir, tu refermes ton oeil.
Ainsi tu te refais, puis tu te renouvelles,
Aymant tousjours le change, et les choses mortelles,
Comme vivant sous toy, sentent pareillement
L'insensible vertu d'un secret changement.
Guillaume du Bartas, La
Première Sepmaine ou Création du monde
(1578)
La Nuit
(extraits)
L'architecte du monde
ordonna qu'à leur tour
Le jour suivist la nuict, la nuict suivist le jour.
La nuict peut temperer du jour la secheresse,
Humecte nostre ciel et nos guerets engresse ;
La nuict est celle-là qui de ses ailes sombres
Sur le monde muet fait avecques les ombres
Desgouter le silence, et couler dans les os
Des recreus animaux un sommeilleux repos.
Ô douce Nuict, sans toy, sans toy l'humaine vie
Ne seroit qu'un enfer, où le chagrin, l'envie,
La peine, l'avarice et cent façons de morts
Sans fin bourrelleroyent et nos murs et nos corps.
Ô Nuict, tu vas ostant le masque et la faintise
Dont sur l'humain théatre en vain on se desguise,
Tandis que le jour luit : ô Nuict alme, par toy
Sont faits du tout esgaux le bouvier et le Roy,
Le pauvre et l'opulent, le Grec et le Barbare,
Le juge et l'accusé, le sçavant et l'ignare,
Le maistre et le valet, le difforme et le beau :
Car, Nuict, tu couvres tout de ton obscur manteau (...)
Guillaume du Bartas, La
Première Sepmaine ou Création du monde
(1578)
Premier Jour de La
Sepmaine (extraits)
Dieu ne fit seulement
unique la nature ;
Ains il la fit bornée et d'âge et de figure,
Voulant que l'être seul de sa Divinité
Se vît toujours exempt de toute quantité.
Vraiment le Ciel ne peut se dire sans mesure
Vu qu'en temps mesuré sa course se mesure.
Ce tout n'est immortel, puisque par maint effort,
Ses membres vont sentant la rigueur de la mort :
Que son commencement de sa fin nous assure,
Et que tout va, ci bas, au change d'heure en heure.
Composez hardiment, ô sages Grecs, les cieux
D'un cinquième élément : disputez,
curieux,
Qu'en leurs corps par tout rond l'oeil humain ne remarque
Commencement, ni fin : débattez que la Parque
Asservit seulement sous ses cruelles lois
Ce que l'Astre argenté revoit de mois en mois.
Le faible étaiement de si vaine doctrine
Pourtant ne sauvera ce grand Tout de ruine.
Un jour de comble-en-fond les rochers crouleront ;
Les monts plus sourcilleux de peur se dissoudront ;
Le Ciel se crèvera: les plus basses campagnes
Boursouflées croîtront en superbes montagnes ;
Les fleuves tariront, et si dans quelque étang
Reste encor quelque flot, ce ne sera que sang ;
La mer deviendra flamme : et les sèches baleines,
Horribles, meugleront sur les cuites arènes ;
En son midi plus clair le jour s'épaissira,
Le ciel d'un fer rouillé sa face voilera ;
Sur les astres plus clairs courra le bleu Neptune;
Phoebus s'emparera du noir char de la Lune ;
Les étoiles cherront. Le désordre, la nuit,
La frayeur, le trépas, la tempête, le bruit,
Entreront en quartier ; et l'ire vengeresse
Du juge criminel, qui jà déjà nous
presse,
Ne fera de ce Tout qu'un bûcher flamboyant,
Comme il n'en fit jadis qu'un marais ondoyant.
Guillaume du Bartas, La
Première
Sepmaine ou Création du monde (1578)
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