Paul Chamberland (1939- )Poète et essayiste québécois, né à Longueuil le 16 mai 1939.
Paul Chamberland obtient son baccalauréat ès arts au Collège Saint-Laurent en 1961 et sa licence en philosophie à l'Université de Montréal en 1964, avant de poursuivre des études en sociologie littéraire à la Sorbonne. Il revient de ce séjour d'études à Paris profondément marqué par les « Événements de mai 68 ». De 1968 à 1972, Paul Chamberland s'implique activement dans la période effervescente de ce que l'on peut appeler, par convention dit-il, la « nouvelle culture » ; la Nuit de la poésie de 1970, à laquelle il participe, en est un moment majeur. Cette même période est consacrée à ses activités d'écrivain et d'animateur au sein de l'équipe d'In-Média puis de la Fabrike d'ékriture.
De 1973 à 1978, il fait l'expérience intensive de la vie en communauté et du réseau alternatif. Il collabore principalement aux revues Mainmise et Hobo-Québec, mais aussi aux revues Liberté, La Barre du jour, Estuaire, Possibles, Forces ; il a également participé au Solstice de la poésie québécoise en 1976, ainsi qu'à la Rencontre internationale des écrivains de la francophonie à Épernay (France) en 1975. En 1978, il séjourne en Hongrie où il est l'invité de l'Institut culturel. En 1980, il participe aux festivals de La Rochelle et d'Avignon, dans le cadre des « Sept paroles du Québec ». Il se déplace également en Italie, à Bologne et à Turin, où il donne un cours sur la poésie québécoise. Depuis 1985, Paul Chamberland est professeur au département d'études littéraires de l'Université du Québec à Montréal.
La poésie de Paul Chamberland reflète son engagement culturel et politique. Elle affirme le droit à faire de la condition des Canadiens francophones le noyau d'une identité (voire d'un nationalisme québécois) revendiquée avec force et non sans provocation. Terre Québec (1964), « poème de l'antérévolution », associe avec véhémence le combat contre l'aliénation du Québec ou l'« Amérique des yankees » et la solidarité avec les opprimés du monde entier. Il publie ensuite L'afficheur hurle, poèmes (1994), puis des essais lyriques : L'Enfant doré (1980), Phoenix intégral (1988), Dans la proximité des choses (1997).
Paul Chamberland a remporté le Prix de la province de Québec en 1964, au moment où toute son activité culturelle et politique se concentrait sur la revue Parti pris dont il a été l'un des fondateurs en 1963. En 1991, il a reçu le Prix Édouard J. Maunick pour l'ensemble de son œuvre ; en 1999, le Prix de poésie Terrasses Saint-Sulpice de la revue Estuaire pour Intime faiblesse des mortels ; et le Prix de l’essai de la revue Spirale, en 2000, pour En nouvelle barbarie. Il est membre de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois depuis 1977.
Tiré de : L'ILE, Katia Stockman
Les Nuits armées (poème de la sentinelle)
à Gaston Miron
à Paul-Marie Lapointe
I
les millions d'oiseaux rageurs traversent mon crâne millions d'ailes à
battre dans mon sang le rappel des matins soldats
où vivre épousera la mort transgressée
millions de pas de frères déjà franchissent mes vertèbres et c'est moi
cloué vif sur la crête des nuits buveuses du sang natal
vibrent leurs pas dans mes neuronnes je suis atteint je luisje suis le
veilleur et la lampe
l'éclaboussure des sangs cadenassés nos premières foulées dans la
reconquête des bases et de la santé
c'est moi veilleur et nul au tressaut de la pointe j'intente aux nuits
fermées la césure du jour
nous-mêmes partageant l'espace apatrié
l'aube m'abolira que j'arrache à mon corps
naître naître à nos corps folle flambée d'aurore sur les montagnes
bousculées
combattre au nom de ce qui se tient dans le jour femme pays la couleur
violente de la semaine et du futur enchevêtrés
le jour humain du sang
II la bouche au baîllon
la gorge au rasoir de l'ombre
périr en tam-tams d'insomnie
(le carrelage hurle ses fours aux fenêtres hallucinées)
l'ombre a dévoré les miroirs le ciel assommé bave sur les seuils
l'ombre a dévoré le pays les vents y creusent leurs couloirs sanglants
où l'on couche les grands corps éteints de nos vendangeurs de haine de
nos vendangeurs d'amour
novembre les supplicia
ce peuple est un lent cortège qui rebrousse en sa mémoire les sentiers
de son aurore
il porte déjà son deuil
mille bouches grinçantes le Nord s'ouvre fleur multilame des glaciers
ce peuple meurt aux lampadaires du silence
cierge aux doigts fins de l'officiant castrat
a-t-on fermé les portes du matin
III mon corps naît d'aube à peine et j'ai mal
d'avoir fait les cents rues de l'espace j'ai fini par savoirl'espace
dans nos pas vacillel'espace plaie s'écoule aux fondrières du Hoquet divin
le voyage est malaise et le soleil dérape dans les songesle soleil
saigne dans le charbon
c'était là le matin et nous n'avons jamais quitté le charbon
malaise les fleurs malaise les eaux mensonge tous ces oiseaux dans le
quadrille des dimanches
de mal me tenir dans le jour j'ai su que depuis toujours la nuit
rongeait nos matins
que fleurs et rivières hirondelles voilent en brillant la bête affamée
je n'ai jamais quitté le sentier qui menait au moulin de l'étrangleur
je m'enfonce plus sûr qu'un train entre les dents du malheur
et le ciel croule et les toits crient très lent très lente imperceptible
chute
IV ...au temps nul de naître jamais de mourir toujours ? tout lieu se
dérobe à fonder le pays l'espace de vivre ? quelles mains viennent
palper nos fronts barrés
déjà l'ombre corrode la pierre d'accueil le seuil de nos gestesl'infâme
faim dévaste nos blés faim de sommeils et de terriers
au coeur la forêt brûle et le sourire craque
la geôle nous rentre au corps nous dévore
nous voici geôliers de nous-mêmes
sentinelle coupée des chemins de lumière je nais au plus haut foyer de
la solitude
je saigne et je m'éteindrai aux faisceaux inouïs de l'obscur
soleil qu'on nous a volé soleil roué sous les dalles soleil nôtre dans
nos pas à rebours des horizons verrouillées
tam-tam du sang natal hurle à nos poings
le sang failli s'annule en tous miroirs aveugles nos cris ne peuvent se
joindre et tresser l'entrelac d'une fronde à tendre contre le roc
ouranien du Maître
nommer la terreur du sang
la foudre du sang
qui nous rende aux plages finies d'une terre qui flambe nôtre dans nos
bras armés
rebrousser pas à pas le pays de nos blessures remonter le cours de notre
malheur apprivoiser du moins notre maigre mort
V ô jour fable à réinventer
nous ne fûmes jamais du jour
ce peuple dort aux caveaux de la honte entendez la rumeur du sang bafoué
au creux du fer et de la houille
entre l'étau leurs tempes leur front aux ronces de l'Hiver
tout un pays livré aux inquisiteurs aux marchands aux serres des lois
j'entends le sang contre la porteaux pas sourds de la fièvre en nuit
montent les lunes poitrinaires
le front bas sous le ciel hurlé nous avons mené nos chemins en forêts
pour les dresser suicide sur l'autel de la dérision
des doigts sacristains les ont noués à jamais dans le vitrail du délire
les hommes d'ici devisent posément de choses étrangères ils n'entendent
pas le bruit que font dans leur cervelle les lunes crissants couteaux
et les sombres fruits coupés de l'arbre aussitôt choient aux marais
à l'étroit dans le cierge et l'ogive notre feu se châtre et vend aux
idoles sa mort interminable
VI bailleurs de fonds tous ces oiseaux qui sont venus nous ficher l'aube au
corps un matin
rupture des prisons blessure ardente au cadavre blêmi de la ville
il nous fallait ces cris d'avril tous ces miroirs en feu aux lèvres du
ciel émigré sur nos toits
pour forcer l'hiver et la mort jusqu'au plus obscur de nos os
pour y raviver l'étincelle aux reins de tout un peuple enfin radiant
l'espace de chemins guerriers
ah blé chaleur et table épaisse rituel
des sols noirs et gras tout le ciel
d'un jet dans nos labours
ah la danseuse incendiaire au long du fleuve
artériel notre corps notre été retenti
jusque dans la moellel'espace
notre patrimoine sous les quatre épées du vent
et les forêts les banquises les gulf-stream
cinglant l'horizon de nos semailles
l'infini au poignet tournemain des étoiles
NOUS rançonnerons aux cents nuits
la TERREQUÉBEC
l'immense berceau des glaces
le profond dortoir des astres nickel et cuivre
VII ta parole épée dressée sur nos arpents
ton corps lié aux fureurs de l'étoile
aux messageries du jour la rupture de l'acier
relance ton assaut dans la foudre et le sang
tous les dieux tonnent dans tes muscles
ravis l'épouse et les jardins sème l'été dans nos actes
sème la saison des égaux dans les nerfs et les usines
cravache les sommeils ravive la blessure aux fronts
des foules serves
ARME LES NUITS D'UN PEUPLE
Paul Chamberland, Terre Québec, suivi de L'afficheur hurle et L'inavouable (1985, 2003)
Références :
- L'ILE - Paul Chamberland : http://www.litterature.org/recherche/ecrivains/chamberland-paul-115/
- Encyclopédie canadienne - Paul Chamberland : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/chamberland-paul
- Les prix du Québec - Paul Chamberland : http://www.prixduquebec.gouv.qc.ca/prix-qc/desclaureat.php?noLaureat=353
- Cherchez/créer - Paul Chamberland : http://cherchezcreez.org/membre/paul-chamberland-0
- Les voix de la poésie - Paul Chamberland : https://www.lesvoixdelapoesie.com/poemes/poetes/paul-chamberland
- Bilan du siècle - Paul Chamberland : http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/1690.html
Oeuvres poétiques :
- Genèses (1962)
- Le pays (1963)
- Terre Québec (1964)
- L'afficheur hurle : poème (1965)
- L'inavouable : poème (1967)
- Éclats de la pierre noire d'où rejaillit ma vie : poèmes suivis d'une révélation, 1966-1969 (1972)
- Demain les dieux naîtront (1974)
- Le prince de sexamour (1976)
- Extrême survivance, extrême poésie (1978)
- Terre souveraine (1979)
- L'enfant doré : 1974-1977 (1980)
- Émergence de l'adultenfant : poésies et essais (1981)
- Fidèles d'amour (1981)
- Le courage de la poésie ; fragments d'art total (1981)
- Du côté hiérogyphe de ce qu'on appelle le réel : suivi de Devant le temple de Louxor le 31 juillet 1980 (1982)
- Aléatoire instantané : & Midsummer 82 (1983)
- Le recommencement du monde : méditations sur le processus apocalyptique (1983)
- Un parti pris anthropologique (1983)
- Compagnons chercheurs (1984)
- Terre Québec : suivi de, L'afficheur hurle ; de , L'inavouable ; et de, Autres poèmes : poésie (1985)
- Phoenix intégral : poèmes, 1975-1987 ; suivi de, Après Auschwitz (1988)
- Intarsia (1990)
- Le multiple événement terrestre : géogrammes 1, 1979-1985 (1991)
- L'assaut contre les vivants : géogrammes 2, 1986-1991 (1994)
- Témoin nomade : carnets I, 1975-1981 (1995)
- Dans la proximité des choses : poésie (1996)
- Le froid coupant du dehors : géogrammes 3, 1992-1996 (1997)
- Intime faiblesse des mortels (1999)
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