Albert Lozeau (1878-1924)Poète québécois, né et mort à Montréal.
Albert Lozeau fit ses études à l'Académie Saint-Jean-Baptiste. Mais, à l'âge de dix-huit ans, paralysé à la colonne vertébrale par la tuberculose, il doit rester alité et continuer son apprentissage en autodidacte. Il décide alors de consacrer à l'écriture. C'est son ami, le poète Charles Gill, qui l'initiera à la littérature. Membre de l'École littéraire de Montréal, avec laquelle il communique par correspondance, il écrit aussi pour différents journaux et revues. Il fut membre de la Société royale du Canada en 1911 et Officier d'Académie du gouvernement français en 1912.
Albert Lozeau s'est attaché à décrire ses émotions et sa solitude dans L'âme solitaire (1907) ainsi que son univers intime et nostalgique dans Le miroir des jours (1912). Dans Lauriers et feuilles d'érable (1916) et Images du pays (posthume, 1926), sa poésie exprime, à l'aide de formes traditionnelles, son amour de la nature québécoise et de ses couleurs mélancoliques, ce qui le rapprocha du courant des poètes du terroir. Sa poésie, de forme traditionnelle, sera la seule de son époque à présenter un je affirmant une réelle personnalité. Poète de l'intime, de l'introspection, de la simplicité et de la nature par petites touches, Lozeau mourra avant d'avoir terminé une édition définitive de son œuvre poétique. Elle ne paraîtra que deux ans après sa mort, en 1926, préfacée par son ami l'abbé F. Charbonnier.
Quand la lune au ciel noir resplendit claire et ronde,
Le vers en mon cerveau comme une eau vive abonde.
Il coule naturel comme une source au bois,
Avec des sons fluets de flûte et de hautbois
Et, souvent, des accords doux et mélancoliques
D'harmonium plaintif et de vieilles musiques.
La lune verse au coeur sa blanche intimité
De rêve vaporeux où passe une beauté,
Et dans les chemins creux où la fraîcheur s'exhale
Ajoute aux flaques d'eau quelques mares d'opale,
Où l'on voit quelquefois se noyer éperdu
Un insecte ébloui dans de l'astre épandu.
Mais elle qui parait pour toujours endormie,
Apaisée a jamais dans la grande accalmie,
Est si puissante encor qu'elle émeut l'Océan
Et fait frissonner l'homme aussi dans son néant.
Elle rend plus hardis les jeunes gens timides
Et plus près de l'amour la vierge aux yeux candides.
Tu n'es pas morte, non ! chère clarté des soirs
Qui trembles sur les lacs comme sur des miroirs !
Et le cerf altéré qui boit à l'onde clairev En même temps que l'eau boit aussi ta lumière ;
Tu circules en lui comme un sang plus divin,
Car on n'absorbe pas de la splendeur en vain !
Le vaste ciel poudre d'étoiles d'or scintille.
Quelqu'un dans l'ombre, en bas, attend qu'un rêve brille.
La Lune bienveillante au sourire d'argent,
Aide en son pur labeur le poète songeant,
Et tendrement, le long de ses rayons sublimes,
Laisse glisser des vers chantants aux belles rimes.
O Lune ! quel mystère habite en ta clarté,
Et quel pacte te lie a notre humanité ?
Toi pour qui les anciens vivants eurent un culte,
Tu fais régner sur nous ton influence occulte ;
Et ton charme attirant fait même, comme un jeu,
Tourner les papillons des nuits dans ton feu bleu !
II Quand tu parais, les soirs bénis, à ma fenêtre,
Ta lumière lointaine et vague me pénètre,
Et je me baigne en toi ! Transfigurant ma chair,
Tu me fais pur et beau, surnaturel et clair ;
Et je suis comme un dieu tout imprégné de lune,
Participant ainsi qu'un astre à la nuit brune !
Oh ! l'heure incomparable et la divine nuit !
Où donc l'amer chemin ? Où donc le morne ennui !
La souffrance est passée, et ma joie est profonde
De goûter ici-bas la paix d'un autre monde...
Je ne me livre pas au néant du sommeil,
Et j'attends l'heure triste où viendra le soleil...
III Changeante Lune ! Un soir, au ciel couleur d'ardoise
Tu montas rouge ainsi qu'un énorme tison ;
Et petit à petit, en laissant l'horizon,
Tu pris une nuance exquise de turquoise.
Une autre fois, ce fut comme une boule d'or
Que masquait par moment un passager nuage ;
Et puis tu redevins la Lune au bleu visage,
La Lune habituelle et que je vois encor.
Un lourd après-midi de juillet, tu fus blanche
Comme une immense hostie apparue en l'azur ;
Tu fondis, tel un peu de neige au soleil dur,
Et l'on ne revit plus ta face qui se penche...
IV Quand tu pleus en reflets sur les grands arbres verts,
Les oiseaux endormis que tu trempes d'opale
Doivent songer a Toi, Lune adorable et pâle,
Pénétrés de bien-être en leurs abris divers.
Leur petite âme frêle, inquiète et farouche,
Se pelotonne à l'aise en leurs chauds petits corps,
Quand tu luis; chaque oiseau craignant les mauvais sorts
Fait sa prière a Toi, Lune, quand il se couche.
Et tu veilles sur l'homme autant que sur le nid,
Du haut de ta demeure inaccessible et sombre ;
Car le mal, ce complice ordinaire de l'ombre,
A dû craindre souvent ton regard infini.
O Lune ! jusqu'à toi permets que je m'élève !
Je rampe plein d'ennui ! Jette-moi des rayons,
Que je m'en serve ainsi que de bleus échelons
Pour suivre dans l'éther, ton domaine, mon rêve !
Albert Lozeau, tiré de L'Âme solitaire (1902-7)
Avril à l'air léger, sonore et lumineux,
Fait passer sur la rue où fume un peu de glace
En vibrante fumée incolore et fugace,
Le vent qui penchera les rosiers épineux.
Le soleil, boule d'or au ciel vertigineux,
Impatient d'atteindre à sa plus haute place,
Monte, et le vent devient plus tiède sur la face ;
La neige fond au pied des sapins résineux.
Monte, divin soleil, afin que tout renaisse !
Rends au coeur épuisé le sang de sa jeunesse,
Comme tu rajeunis la sève des vieux bois !
Monte ! fleuris la terre, épanouis les âmes !
O source de vigueur, monte afin que je sois
Plein de force et d'amour, comme toi plein de flammes !Albert Lozeau, tiré de L'Âme solitaire (1902-7)
Le clair de lune sur la ville est endormi.
Dans le ciel ont coulé tant d'opales fondues
Qu'au loin, dans la lumière et l'ombre confondues,
Les astres éclipsés ne luisent qu'à demi.
Dans l'éblouissement, les étoiles cachées
Sont comme des yeux bleus qui regardent sans voir.
Le clair de lune règne et, conquérant du soir,
Fait un voile brillant aux étoiles cherchées.
Même ses bords palis sont lumineux encor,
Et tant qu'il reste au ciel, de larges bandes blanche
Décorent de clarté les maisons et les branches ;
Et, cependant, le clair de lune est comme mort !
Les étoiles, qu'il cache, ont des lueurs vivantes,
Elles traversent l'infini de longs frissons ;
La lune a des reflets bleuàtres de glaçons :
Pour elle est déjà vieux le temps des épouvantes !
Le clair de lune est triste et doux, il est ancien.
Comme un grand souvenir de royauté déchue,
Il dit la gloire antique et la splendeur perdue,
Plane, et dans la nuit calme, avec lenteur, s'éteint...Albert Lozeau, tiré de Le Miroir des Jours (1907-12)
Je regarde, et j'emplis mes yeux de ta lumière,
Beau ciel où pas un seul nuage n'apparaît,
Et j'éprouve un plaisir indicible et secret
À sentir converger l'azur sous ma paupière !
Le bleu me glisse au coeur, frais comme une rivière
Qui, sans me déborder, toujours s'élargirait,
Et l'immense infini que rien ne contiendrait,
Vague à vague, s'étale en mon âme humble et fière !
Tout l'espace est en moi, qui vibre clairement ;
Je l'ai bu du regard de moment en moment,
Et pourtant je ne suis qu'un atome en l'espace...
Le ciel bleu descendu dans mon infimité
Roule comme un profond torrent d'éternité,
Dans lequel, ébloui, je me mire et je passe !Albert Lozeau, tiré de Le Miroir des Jours (1907-12)
Comme il fait bon d'être plusieurs quand il fait noir,
Et que nous subissions l'influence du soir,
Rêveur, chacun de nous écoutait sa pensée
Par le même silence intimement bercée.
La nuit mélancolique épanchait sa douceur
Avec un caressant geste de grande soeur,
Et nous voyions passer dans l'ombre transparente,
De temps en temps, soudaine, une étoile filante.
Le firmament d'été fourmillait d'astres bleus
Irradiant l'éther d'éclats miraculeux.
L'heure était si puissante et si pleine de grâce
Que chacun la sentait respirer dans l'espace,
Dans le frissonnement d'une feuille, ou le bruit
D'un insecte invisible et tournoyant qui fuit...
Ah ! ce recueillement qui vient avec mystère,
Et d'autant plus profond qu'il est involontaire !
La lampe s'est éteinte et le livre est fermé :
Nul ne songe à l'ouvrir, nul à la rallumer.
C'est dans son triste coeur, qu'éclaire la nuit noire,
Que chacun continue une émouvante histoire...
Rêve, ô supreme joie, ô consolation !
Baume qui nous guérit du mal de l'action,
C'est le soir qu'on vous sent descendre sur nos plaies
Et couler, comme par la pitié de mains vraies !
Et c'est vous qui dans les jours mauvais de combats
Nous faites prendre un peu patience ici-bas,
Et nous donnez, afin que nul ne se délivre,
La lâcheté peut-être héroïque de vivre !Albert Lozeau, tiré de Le Miroir des Jours (1907-12)
I Le vent mélodieux chante dans les pins sombres
Dont les larges bras noirs bougent parmi les ombres
Le ciel s'est étoilé lentement. La forêt
Voit mille yeux bleus s'ouvrir sur son dôme discret,
Et, sur le sol moelleux que vêt la feuille brune,
Luire de fins rayons et des flaques de lune.
Parfois vibre un bruit d'aile, et furtif, égaré,
Un oiseau somnambule apparaît, effaré.
Le soir tendre en chantant, doux comme une âme blanche
Baise et fait frissonner chaque nid sur la branche.
C'est grand comme la nuit et frais comme elle encor.
Et je songe à Vigny, quand éclate le cor !
II La nuit mystérieuse éveille en nous des rêves,
De beaux rêves rêvés le long des jaunes grèves,
Qui s'élèvent aux clairs de lune familiers
Comme les papillons nocturnes par milliers.
Lourds encor du sommeil dont leurs ailes sont pleines,
Ils montent incertains vers les lueurs sereines
Et disparaissent. Puis, d'autres essaims bientôt
Les joignent, qui s'en vont se perdre aussi là-haut...
Mais le ciel nous les rend, le grand ciel magnanime,
Car il sait que le coeur souvent le plus sublime
Doit à quelque vieux rêve obstinément rêvé
Sa force, et qu'il mourrait s'il en était privé.
III La lune a mauvais teint ce soir, la lune est jaune.
Elle ne charmera pas cette nuit le faune
Qui danse à sa lueur, autour des troncs moussus.
Tous les hôtes joyeux des bois seront déçus.
Les oiseaux familiers blottis dans les ténèbres,
À sa clarté n'auront que des songes funèbres.
Ah ! Madame la Lune, avec vos traits flétris
Vous ne réjouirez que les chauves-souris !
Mais peut-être aurez-vous sur le cerveau de l'homme
Une influence heureuse, et, durant son long somme,
Pour changer le plomb noir qui l'avilit encor,
Voudrez-vous lui verser au coeur des rayons d'or...
IV O Lune, qui ce soir a l'air d'une malade,
Lune pâlement bleue, astre cher au nomade,
Lampe d'or du poète et soleil des hiboux,
O Lune ! qu'as-tu donc à pleurer comme nous !
Car ce sont bien tes pleurs, Lune triste et superbe,
Qui perlent au matin à la pointe de l'herbe...
Lune languide et blême, en ton beau ciel de nuit
Être hantée ainsi d'un indicible ennui ;
Au vaste paradis des divines étoiles
Gémir comme une femme éplorée en ses voiles !
Ah ! Lune, nous pouvons nous lamenter un peu
Quand tu pleures, si haut, nous, si loin du ciel bleu !..Albert Lozeau, tiré de L'Âme solitaire (1902-7)
Au beau ciel d'été le jour vient de naître ;
Les petits oiseaux confondent leurs chants ;
La clarté nouvelle emplit la fenêtre
Et l'on sent l'odeur de l'herbe des champs.
Le soleil reluit sur les feuilles vertes
Qui tremblent au vent léger du matin.
Respirant l'air bleu, les fleurs sont ouvertes :
Somptueux velours et riche satin.
Épris de beauté devant la nature,
Vers le firmament je tourne les yeux ;
L'espace infini, la lumière pure
Émeuvent le coeur d'un rythme joyeux.
Et cette splendeur qui charme et console
Par l'homme n'est pas regardée en vain :
Le meilleur de lui dans l'azur s'envole
Sur les ailes d'or d'un rêve divin !Albert Lozeau, tiré de Les Images du Pays (1926)
Comme sont morts les preux, dans la gloire et le sang,
Au soir du jour frappés au coeur d'un fer puissant,
Le soleil, chevalier bardé d'or qui s'irise,
Dans le champ de l'azur, tout sanglant, agonise.
De son sein, à longs flots jaillit la pourpre en feu,
Qui coule, se propage et s'épand dans le bleu
Comme un golfe profond que le soir violette,
En avançant à pas lents d'ombre qui halète.
Tout là-bas, un petit nuage rose court,
Flocon que fouette un vent dans le ciel qu'il parcourt ;
Tandis qu'à l'Occident s'efface la féerie,
La nuit sur elle ayant tire sa draperie...
II C'est le soir. Au jardin nulle aile ne voltige.
Chaque fleur endormie est droite sur sa tige.
Les grillons sont muets, sous les herbes tapis,
Et les vents fatigués semblent tous assoupis.
Même la brise au souffle à peine perceptible
Qui fait frémir la feuille à la branche flexible,
Sommeille, et l'onde fraîche est tranquille au bassin
Où le jour les oiseaux vont boire, par essaim.
Précédant le lever des étoiles, la lune
Apparaît pleine et pâle au fond de l'ombre brune,
Et du calme jardin qui soudainement luit,
Un lent parfum s'élève et plane dans la nuit.Albert Lozeau, tiré de L'Âme solitaire (1902-7)
Références :
- Dictionnaire biographique du Canada - Albert Lozeau : http://www.biographi.ca/fr/bio/lozeau_albert_15F.html
- L'ILE - Lozeau : http://www.litterature.org/recherche/ecrivains/lozeau-albert-309/
- Poesies.net - Albert Lozeau : https://www.poesies.net/albertlozeau.html
- Cultivons-nous - Albert Lozeau : http://www.cultivonsnous.fr/c/poesie-albert-lozeau/
Oeuvres poétiques :
- L'âme solitaire, 1907
- Billets du soir (1911)
- Lauriers et feuilles d'érable (1916)
- Le miroir des jours (1916)
- Poésies complètes, volumes 1 (1925-26)
- Poésies complètes, volume 2 (1925-26)
- Poésies complètes, volume 3 (1925-26)
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